Vénus Rebelle
Femmes réduites - Réalité augmentée : même une femme peut l'ouvrir
(c) Alcoa pour la seconde image.
Une image vaut-elle mieux que 1000 mots ? Quel est votre avis ? N’en déplaise à Confucius, je vais peser mes 1000 mots. Car en ce qui concerne le droit des femmes, assez d’être jugée sur une seule image, je vais donc opter pour les 1000 mots !
J’ai trouvé cette image devant une poubelle : comme une invitation à la sauver.
Son. sa précédent.e propriétaire voulait s’en débarrasser mais l’avait disposée de façon à ce qu'elle reste visible. Je ne pouvais me résoudre à laisser ce message si puissant à un destin si tragique. Je n’allais pas être celle qui l’empêcherait de l’ouvrir définitivement. J’ai donc réhabilité cette femme qui a manifestement beaucoup à dire !
J’ai accroché ce cadre à mon domicile. Dès l’entrée, le ton est donné ! Mes invités sont prévenus : chez nous, « même les femmes peuvent l’ouvrir ». Quelques recherches me permettent d'apprendre que ce poster est en fait une caricature d’une publicité américaine de 1953 (swipe pour la découvrir). Période à l’apogée du sexisme : la femme au foyer confinée au domicile pour le bien-être de ses occupants, notamment de son époux. Fatigué après sa journée de travail, il attend que sa docile épouse au petit soin lui apporte son whisky (scotch si nous est aux États-Unis), ses pantoufles et son journal. Mais sur cette parodie, aux codes strictement identiques, cette femme est également tournée en dérision…surtout si on ne connait pas l’affiche d’origine. Elle parait surprise de pouvoir ouvrir … une banane !
D’une apparente vulgarité avec son aspect phallique non dissimulé, il s’agit ici d’ouvrir, non pas une bouteille de sauce pour la cuisine, mais bien la bouche… pour ici manger une banane (je vous en laisse en tirer les conclusions qui s’imposent). Pour ma part le slogan prend également le contre-pied de l’original. Je veux surtout y voir une femme
qui sait l’ouvrir ! Et qui va le faire ! Elle va prendre la parole. Elle va sortir de ces stéréotypes que tant d’affiches, d’images, de photos ont véhiculé à sa place.
Trop longtemps réduite à l’unique fonction de plaire, séduire pour le plaisir du regard et non par le piquant, la justesse ou la pertinence du propos. Nous ne sommes pas que bonnes à sucer (chupa chups et autre sucettes à l’anis,c’est fini ! ) Mais là non, il ne s’agit pas de cela. Ni de faire la cuisine, ni d’ouvrir des bouteilles de sauce sans l’aide de son époux, ou d’ouvrir la bouche pour le plaisir sexuel de ce dernier.
Fini le temps de la femme objet. Les objets sont inanimés, rangés dans un coin, dépourvus de parole. « Sois belle et tais-toi aussi ». Potiche, cruche, gourde (tiens tiens, on nous compare à des récipients creux (quand ils sont vides) et dont la seule destinée serait d’être remplies par … du liquide…). Nous voilà vides de toute substance, de profondeur. Les corps ont pris la parole. Bien dans mon corps. Bien dans ma tête.
Bien dans ma prose !
Non non, cette fois, cette femme va l’ouvrir … pour parler ! Qu’on lui donne la parole ou non, elle va s’en saisir. Oui, on vient de loin, et on ne va pas s’arrêter en si bon chemin ! Malheureusement, celles qui ont pris la parole n’ont pas toujours été épargnées. La tempérance ne semble pas être une qualité dont les femmes pourraient jouir : potiche en silence, ou commères, poissonnières, hystérique si elles osent parler – soit tout simplement exprimer leur opinion. Qui pour les juger de cette manière totalement binaire ? La subtilité serait-elle réservée aux seuls hommes ? Étonnant, lorsqu’on observe les combats de coq ayant très souvent remplacé les débats télévisés.
Désormais les femmes ont pris la parole, même si cela déplait encore. Elles peuvent aussi bien être percutante, pertinente, rigolote ou tenir des propos à côté de la plaque, comme tout le monde. Ni plus, mais sûrement pas moins.
À force de faire croire à la femme qu’elle n’ouvre la bouche que pour la satisfaction du partenaire sexuel ou pour dire des bêtises, nous l’avons-nous même cru. On pourra toujours faire la sourde oreille face aux propos que l'on n'a pas envie d'entendre. Tactique éculée depuis des siècles : faire croire à celle ou celui qui parle qu’elile ne dit que des billevesées pour le décrédibiliser et ainsi éviter qu’elile ne réitère l’affront de prendre la parole. Et quand bien même ? Tous les hommes ont-ils, eux aussi, des propos toujours pertinents. Ne disent-ils jamais de conneries, ah bon ?
Nous ne sommes pas que bonnes à ouvrir la bouche pour sucer. Au lieu d’entrer, nous voulons que les mots et les maux sortent de nos bouches. La femme n’est pas qu’un plaisir de l’œil, elle aussi un plaisir pour l’ouïe si tant est qu’on l’écoute. Alors, à qui veut m’entendre, ouvrez grand… les oreilles !
La parole et sa libération est un sujet que j’aborde régulièrement. Je vous invite à (re)découvrir mon article « Sang sur les lèvres ». Continuons, œuvrons à la libérer. Tant pis pour celles ou ceux qui nous déconsidèrent. Même si on tombe dans l’insolence, la rébellion, l’impertinence, l’outrecuidance, le dépassement des bornes…
N’en déplaise, si nous avons des cordes vocales, c’est pour les utiliser.
Regardez-moi dans les yeux quand je vous parle et écoutez-moi !